14
Un peu plus tard, Terra se rendit à sa séance de physiothérapie. Malgré l’intervention des arbres dans l’après-midi, les exercices lui causèrent beaucoup de douleur. Amy dut lui faire avaler un calmant à son arrivée à la maison. Elle l’installa ensuite au salon en essayant de le réconforter.
— Tu dis que les arbres te font du bien, alors pourquoi ne te débarrassent-ils pas une fois pour toutes de ces souffrances ?
— Je n’en sais rien, Amy. Peut-être faudrait-il que je laisse toute une forêt me toucher.
Soudain, elle entendit le moteur d’une voiture, ce qui était inhabituel, puisqu’elle habitait dans un coin peu peuplé de Little Rock. Elle jeta un coup d’œil par la fenêtre du salon.
— C’est l’inspecteur Wilton et sa femme, annonça-t-elle.
— Je lui ai promis de rencontrer son épouse s’il faisait taire ses hommes au sujet de mon intervention d’aujourd’hui, lui apprit-il.
Amy se tourna vers lui.
— La dame est dans un fauteuil roulant, l’avertit-elle.
Elle ouvrit la porte aux visiteurs et aida l’inspecteur à faire entrer sa femme. Elle les conduisit ensuite au salon, où Terra était toujours assis, blême et épuisé. Elle fit les présentations.
— Madame Wilton, voici Terra Wilder.
— Je suis tellement heureuse de vous rencontrer, monsieur Wilder ! s’exclama-t-elle. Mes amies n’arrêtent pas de me parler de vous et des miracles que vous opérez dans cette ville.
Janet Wilton était menue et délicate. Il émanait d’elle une sérénité et un amour difficiles à comprendre pour Terra. Pour sa part, lorsqu’il avait eu les jambes paralysées, il s’était plutôt montré détestable. Il avait même tenté de se suicider.
— C’est un plaisir, madame Wilton, assura-t-il malgré la terreur que lui infligeait le fauteuil roulant.
— Tout le monde dit que vous êtes Jésus, mais moi, je pense que vous êtes plutôt un ange descendu sur Terre pour nous soulager.
— J’ai seulement un don, rien de plus.
— Vous semblez souffrant, monsieur Wilder, remarqua l’inspecteur.
— Il arrive d’une séance de physiothérapie, expliqua Amy. Il a été victime d’un accident de voiture il y a quelques années et ses jambes nécessitent une attention constante.
— Depuis combien de temps êtes-vous dans ce fauteuil ? demanda Terra à madame Wilton.
— Dix ans. Je suis tombée d’une échelle en lavant les vitres de la maison.
Voyant que l’appareil médical indisposait Terra, l’inspecteur déposa son épouse sur le sofa près du Hollandais. Il replia le fauteuil et le porta dans l’entrée. Le changement d’attitude de Terra fut instantané. Il recommença à respirer normalement et à reprendre des couleurs. Il tendit les mains à Janet Wilton, qui les prit sans hésitation. Une intense lumière blanche les enveloppa l’espace d’une seconde. Lorsque Terra mit fin au contact, un large sourire illuminait le visage de l’infirme.
— Tu vois bien que j’ai raison, Paul ! se réjouit-elle. C’est bel et bien un ange !
Amy détecta la souffrance sur le visage de Terra. Elle pria gentiment leurs visiteurs de le laisser se reposer. L’inspecteur reprit sa femme dans ses bras et Amy les accompagna dans l’entrée. Elle roula même le fauteuil jusqu’à leur voiture.
— Il est beaucoup plus accueillant lorsque ses jambes ne le font pas souffrir, l’excusa Amy.
— Je sais comment il se sent, mademoiselle Dickinson, assura Janet Wilton. J’apprécie qu’il nous ait accordé ces quelques minutes. Remerciez-le pour moi.
Amy les regarda partir, puis rentra. Elle s’assit sur le bras du fauteuil de Terra et caressa son visage crayeux.
— J’ai tué cette femme à Jérusalem, soupira-t-il.
— Au pied de la croix ?
— Oui… Quand elle a touché ma main, j’ai revu toute la scène comme si j’y étais…
— Pourquoi n’a-t-elle pas peur de toi ? s’étonna Amy.
— Je n’en sais rien. Je t’ai tuée aussi et tu as quand même insisté pour que je vienne vivre ici. Peut-être que le karma fonctionne à l’envers. Peut-être qu’il faut apprendre à aimer ceux qui nous ont fait du mal.
Amy constata que sa peau était glacée. Elle voulut savoir s’il avait donné de l’énergie à Janet Wilton. Il n’en était pas certain, mais il ne se sentait pas très bien. Amy alla chercher son manteau, l’habilla et l’escorta jusqu’aux grands arbres qui bordaient sa propriété.
* *
*
Après leur visite à Terra, les Wilton se rendirent chez la sœur de Janet, où ils étaient attendus pour le souper. Sans réfléchir, l’infirme ouvrit la portière de la voiture, posa les pieds sur le sol et se leva sans effort. Surprise, elle fit quelques pas pendant que son époux retirait le fauteuil roulant du coffre.
— Paul ! s’écria-t-elle, folle de joie.
La croyant en danger, il se précipita à son secours et s’arrêta net en la voyant marcher vers lui.
— Il m’a guéri, Paul ! Regarde ! Je marche ! Je marche ! Viens vite ! Je veux tout raconter à ma sœur !
— Janet, je suis aussi heureux que toi, mais j’ai promis à Wilder de ne pas parler de son don.
— Mais tout le monde à Little Rock sait que je suis paralysée ! Qu’allons-nous leur dire lorsqu’ils me verront me promener sur mes deux pieds ?
— Nous leur dirons que les médecins t’ont injecté une nouvelle drogue ou je ne sais quoi.
— Oui, tu as raison. Nous devons protéger cet ange.
Paul serra son épouse dans ses bras pour la première fois depuis fort longtemps. Qui était réellement Terra Wilder ? Pourquoi il avait élu domicile dans leur coin reculé ?
* *
*
Les arbres n’apportèrent pas beaucoup de soulagement à Terra, mais ils lui redonnèrent du courage. Amy le mit au lit et lui proposa toutes sortes de distractions, mais il n’avait le cœur à rien. Elle se souvint alors qu’elle possédait un livre sur la civilisation romaine quelque part dans sa bibliothèque. Elle alla le chercher et s’assit près de lui pour lui faire la lecture.
— Ma grand-mère me racontait des histoires quand elle venait me border, avoua-t-il, amadoué.
— Alors, ce soir, je serai ta grand-mère, plaisanta-t-elle.
Cela le fit sourire. Amy lui lut le passage sur l’armée de la Rome antique. Il apprit que l’Empire n’avait pas de soldats réguliers, l’Empereur appelant les citoyens aux armes seulement lorsque le besoin s’en faisait sentir. Terra lui demanda de lui lire le chapitre sur les officiers.
— Les soldats romains étaient très disciplinés, récitât-elle. Ils ne reconnaissaient que les ordres de leur officier en chef, qu’ils vénéraient comme un dieu.
— C’est donc pour cette raison que mes étudiants m’ont pris au sérieux dès la première journée, comprit-il. Ils ont répété un comportement acquis dans une autre vie.
— Les officiers récompensaient leurs soldats. C’étaient également des hommes éloquents et convaincants, qui savaient persuader leurs soldats que la seule bonne stratégie était la leur. Ils ne pouvaient qu’être victorieux.
Le téléphone sonna. Amy s’empressa de répondre. Qu’ils aient été ou non ses soldats, il n’était pas question que les élèves de Terra le dérangent ce soir-là.
Elle fut bien surprise de reconnaître l’inspecteur Wilton au bout du fil. Il voulait seulement lui annoncer que sa femme avait recommencé à marcher en sortant de chez elle et qu’elle attribuait ce miracle au contact qu’elle avait eu avec Terra Wilder. Amy l’écouta en contemplant le visage maintenant calme de son beau Hollandais. Il n’aurait plus jamais la paix à Little Rock, maintenant que tout le monde connaissait son secret.